lundi, février 26, 2007

Le degré zéro du journalisme

Extrait d'une dépêche AFP titrée "les minorités irakiennes menacées de disparition" et reprise dans "Le Monde"

Ces minorités (chrétiens arméniens et chaldo-assyriens, Baha'is,
Failis, Juifs, Mandéens, Palestiniens, Shabaks, Turkmènes et Yezidis)
représentent 10 % de la population du pays. Certaines sont installées
depuis plus de deux mille ans en Irak et sont visées par les
communautés chiites, sunnites et kurdes dans la montée en puissance de
la bataille pour le pouvoir et les terres.

On atteint le sommet! Je sais je sais, il faut respecter des règles absurdes avec un nombre de "signes" sacré par page, et surtout, surtout ne pas fatiguer le lecteur. Avec trop d'informations.



Que retient on de ce résumé terrifiant? L'Irak est un énorme merdier du Nord au SUD, avec un massacre général des minorités par les méchants Arabes sunnites et chiites et par les Kurdes.



Alors bon, si on rentre dans les détails, il est hautement improbable que les Kurdes massacrent des Yezedis. Eh oui, ils sont kurdes, mais ca serait trop finasser. La situation des Assyro-chaldéens n'est pas la même à Bagdad et à Amedi ou Duhok, et de nombreuses familles chrétiennes émigrent d'abord au nord, où certes tout n'est pas rose, mais où la probabilité de se faire déchiqueter par une bombe humaine est faible, et où leurs droits sont reconnus et protégés avec plus ou moins d'efficacité. Pas d'attentat contre les églises au Kurdistan, pas de bombes sur les marchés, pas de décapitations de groupe, d'enlèvements et de prises d'otages.

La situation n'est pas la même pour les Türkmènes à Erbil, paisible, qu'à Kirkuk, où les forces Kurdes ne sont pas irréprochables, et où les djihadistes et les chiites infiltrés ciblent méthodiquement Kurdes, Turkmènes et Chrétiens.

Bref, quel intérêt de pulbier ce genre de dépêches, qui à force de concision et de raccourcis n'apprennent rien sur rien et faussent la vision...affligeant.

Sur le reste et sur le fond, on ne peut qu'être d'accord. L'Irak se vide, et pour avoir travaillé avec les réfugiés en Turquie, j'ai pu voir que les chrétiens formaient le gros des troupes...

Je cède le clavier (par commentaire interposé) à Piling

Continuons dans le décorticage mode "emmerdeurs" :

Déjà en Irak, à part les Turkmènes et les Arméniens, il y a pas mal de monde qui peut prétendre être là depuis au moins 2000 ans, quelles que soient leur religion et leur langue, c'est commes ces journalistes qui croient que les Coptes sont une population forcément plus ancienne que les musulmans égyptiens...

Les Faylis sont des Kurdes chiites. Quasimment anéantis par des déportations et tueries de masse sous Saddam, dès les années 80. A l'époque ça avait peu ému les journalistes.

Les Mandéens : jolie religion gnostique mi héllénisante mi babylonienne ; considéré comme kakirs par les Takfiris et autres allumés, cet été 150.000 d'entre eux qui vivaient à Bagdad avaient annoncé leur intention de se réfugier... chez les méchants Kurdes du nord.

Les Palestiniens : intéressante "minorité" toute neuve en Irak que Saddam avait chouchouté en se servant d'eux comme militiens, en général détestée par les Irakiens et peu aimée des Kurdes (oui parce que l'ancien régime les utilisait aussi pour réarabiser le Kurdistan confisqué par les méchants Kurdes aux Arabes); récemment le GRK a essuyé une volée de bois vert de sa population au sujet de ces réfugiés palestiniens que Barzani aurait peut-être accepté d'accueillir au Kurdistan avant de démentir. Il est à noter qu'aucun de ces Palestiniens ne semble pouvoir (ou vouloir ?) vivre dans une autre nation arabe "soeur".

Les Shabaks (secte religieuse assez ressemblante aux Alévis), les Turkmènes (chiites), les Yézidis vivant en dehors du GRK, soit au nord de Mossoul ou à Kirkouk doivent se prononcer par référendum s'ils veulent rester dans l'Irak actuel ou le Kurdistan. Les Shabaks et les Yézidis sont particulièrement visés par les Takfiris en tant que kafirs et ils envoient leurs gosses étudier à Arbil de préférence à Mossoul on se demande pourquoi.

Sinon au Kurdistan tout le monde cherche à s'installer, même les Arabes sunnites qui arrivent du sud, et les prix des logements flambent. Mais c'est sûrement parce qu'ils sont masochistes. ..

vendredi, février 16, 2007

Etat des troupes

Les relations Turco-Kurdes sont pourtant très simple: la ligne de fracture est la même que celle observée sur tous les grands débats en Turquie.



Contre toutes relations diplomatiques avec le GRK (gouvernement régional kurde) et pour une intervention militaire:



  • Le président Sezer
  • Le CHP, le MHP, le BBP, etc
  • Yasar Büyükanit
  • Le Front Türkmène Irakien
  • Le PKK

Pour des bonnes relations:



  • Le gouvernement Kurde
  • Le gouvernement AKP, plus ou moins (certains députés sont un peu à la masse)
  • Les américains
  • Les Türkmènes du Kurdistan
  • Les démocrates turcs
  • Les entreprises turques
  • L'Union Européenne
Le plus amusant, c'est peut être de voir le PKK être cité comme une terrible menace pour la sécurité turque. Le fait qu'il soit à peu près silencieux depuis son cessez le feu d'Octobre et qu'il vienne d'être décapité dans sa structure européenne n'a pas l'air de changer la donne. On en revient à l'éternelle constatation: une certaine classe du pouvoir en Turquie a BESOIN d'ennemis...



Le gouvernement kurde a interdit au PKK d'organiser une manifestation à Erbil pour demander la libération d'Öcalan (comme tous les ans à la même époque). Cela devrait être considéré comme un signe de bonne volonté par Ankara, tout comme la fermeture de bureaux du PKK à Erbil et Kirkuk. Et c'est bien ce que fait Erdogan... De bonnes relations avec la Turquie sont vitales pour le Kurdistan, et les Kurdes du Sud le savent. De bonnes relations seront aussi profitables pour les kurdes du nord, mais on considère encore dans les cercles nationalistes qu'un Kurdistan reconnu agira comme une incitation séparatiste au Kurdistan Turc. "Big news" comme dirait l'autre, les Kurdes de Turquie n'ont pas attendu 2003 pour être tentés par le séparatisme...



Erdogan joue gros en cette année d'élections. Il peut choisir de parier sur le désir de normalisation et de démocratisation, ou tomber dans la facilité du nationalisme cocardier en essayant de voler des voix au CHP et au MHP. Il semble pencher pour la première solution, mais ne fait pas l'unanimité dans son propre parti (dans lequel se trouvent d'ancien membres d'autres partis), et a une grande partie de l'establishement contre lui....





A qui se fier...

Le représentant des Turkmènes irakiens au parlement kurde est probablement un traitre à sa race qui ferait mieux de Sev un peu plus si il ne veut pas terket vite fait. Toujours est il que contrairement aux pleurnicheries du Front Turkmène Irakien, auto-proclamé leader du peuple Turkmène (de 300 à 800 000 personnes selon la police, de 2 à 5 millions selon eux, plus si la discussion s'enflamme), M. Altiparmak (six doigts!) appelle Ankara à cesser de dire des c... et à ouvrir une représentation dans la région kurde irakienne.



Or pour Ankara, ouvrir une représentation officielle à Erbil (comme l'Iran par exemple), celà équivaudrait à reconnaître que la région du Kurdistan Irakien existe. Inacceptable. Officiellement il y a un Iraq du Nord, des nord-irakiens, dont la population, manipulée par le PKK, refuse la protection bienveillante du grand frère turc. Ce qui, depuis environ 3 ans, devrait changer incessamment sous peu.



Altiparmak, lui, reconnaît l'existence du Kurdistan, et ose dire que le fédéralisme ce n'est pas la division. Il appelle Ankara à arrêter de gesticuler et à établir de bons rapports avec l'administration kurde. Disons le tout net, il serait en cela soutenu par les entreprises turques qui investissent la bas, les kurdes de Turquie qui commercent et trafiquent avec leurs frères du sud, bref un peu tout le monde, sauf les excités qui continuent à croire à une intervention militaire turque.



The Shiites have no
intention of giving anyone any rights. They won't give any rights to
their brothers the Sunni Arabs or anyone else. We saw how we were
treated by the Sunnis and the Shiite Arabs. There are only the Kurds we
can live with. Only they have a positive approach towards the Turkmens.
They give Turkmens their rights. We have two Turkmens in the Kurdistan
regional government and four deputies in the regional parliament. If
Kirkuk becomes a part of the Kurdistan region then the Turkmen
population of the region will increase and we will be the largest
minority in northern Iraq. With the help of our Kurdish brother, we could
enhance our representation in the Baghdad government and the Iraqi
parliament."




C'est parler pour l'intérêt des Turkmènes (il est même en faveur du referendum de Kirkuk!), mais pas dans celui de certains cercles à Ankara...



Des Turcs qui disent qu'ils sont tous Arméniens, des Turkmènes qui font ami-ami avec les Kurdes... il va en alloir des Ozgun Samast pour recadrer tout ça...







mardi, février 13, 2007

Mise au point!

Je n'ai pas bien compris pourquoi mais apparemment certains ont cru que j'arrêtais ce blog pour de bon

Que nenni, je continue, mais moins qu'avant, pour cause de boulot par dessus la tête! Quand aux messages inadmissibles en turc... boarf, j'efface!

dimanche, février 04, 2007

Commentaire

Mustafa Akyol, dans l'article ci-dessous résume parfaitement mon sentiment, et me rassure: quand vous émettez ces hypothèses en tant qu'étranger, on vous réplique que vous ne pouvez pas parler, n'étant pas turc. Or là c'est un Turc qui le dit. Probablement pourri d'idéologies étrangères subversives visant à l'éclatement de la république, comme Pamuk, Safak ou Orhan, mais Turc quand même.



La confusion Nation/République/Idéologie/Etat/Armée en Turquie rend difficile toute discussion rationnelle. Critiquer l'Etat, c'est critiquer le pays. Dire "la république est corrompue" c'est critiquer tous les Turcs, dire "l'armée a commis des crimes", c'est vouloir l'effondrement de l'Etat. On peut remercier Mustafa Akyol pour rappeller la phrase de Mussolini "Tout pour l'Etat, rien hors de l'Etat, rien contre l'Etat"



J'ai toujours été frappé par le degré d'endoctrinement du turc moyen, qui n'a jamais remis en cause ce qui lui a été inculqué à l'école à coup de poèmes à la gloire du surhomme, histoire réécrite, défilés paramilitaires, slogans douteux et hymne national obligatoire tous les matins. Abreuvé du sang des martyrs, élevé dans le culte du fondateur, l'adoration de la république "déifiée", la haine du traître et rangé sous le drapeau et derrière une armée "victorieuse", qui à part quelques grecs chypriotes et quelques coréens n'a servi depuis 1924 qu'à massacrer des citoyens turcs, l'écolier turc, s'il n'a pas la chance d'entendre chez lui un autre son de cloche (un autre ezan), n'aura aucune raison de douter.



Un étudiant en levis, fan de reggae, philosophe à ses heures, justifiera l'oeil fixe et les mains tremblantes les villages vidés de leur population et les crimes de guerre au Kurdistan: "ils veulent la fin de la république, il faut la défendre".



L'impossibilité de remettre l'armée et la république en question aboutit aux délires observés actuellement : ce sont les arméniens qui ont tué Hrant Dink. Impossible de croire à un complot ultra-nationaliste pourtant on ne peut plus avéré.



La vidéo, pas si effarante, des gendarmes posant fièrement aux côtés de l'assassin de Hrant Dink, explique pourquoi les partis ultranationalistes comme le MHP et le BBP peuvent agir impunément, et comme le MHP a pu assassiner en toute impunité des dizaines de journalistes, étudiants, syndicalistes, hommes politiques kurdes et de gauche depuis les années 70: ils ne sont pas réprimés.



La loi turque punit les appels à la haine raciale. "Paix dans le sud-est!", c'est un appel à la haine raciale, puisque c'est proposer une solution négociée à un problème de terrorisme séparatiste. "YA SEV YA TERKET" (soit tu l'aimes soit tu la quitte), ce n'est pas un appel à la haine raciale. Dire "Fraternité entre turcs et kurdes", c'est de la haine raciale. Dire "on a massacré les arméniens, on massacrera bien les kurdes", ce n'est pas de la haine raciale. Les "lois anti-haine" de la Turquie sont faites pour protéger la république de la subversion, par pour protéger les minorités ou la liberté de culte.



Sur le blog de Guillaume Perrier, quelques commentateurs s'élèvent contre la notion d'"islamo-nationalisme", apparemment une invention d'européens qui n'y connaissent rien. Pourtant BBP et MHP haïssent les Kurdes, Grecs, Juifs, Arméniens, Alevis turcs et kurdes dans distinction de religion. Ils ne sont pas purement nationalistes, parce qu'ils haïssent les alevis, ethniquement turcs pour beaucoup, pas purement islamistes parce qu'ils haïssent les Kurdes, sunnites comme eux. Ce qu'ils haïssent, ce qu'ils veulent éradiquer du territoire turc, ce sont les non turcs-sunnites. C'est un couple indissociable, et c'est pour celà que les turcs convertis au protestantisme vivent un enfer. La nation turque dans leur esprit, et dans l'esprit des putchistes de 1980, des Jeunes-turcs de 1915, des assassins de Dink, est une entité turque et sunnite. D'où la nécessité de nier la différence tant qu'il l'a été possible sans se couvrir de ridicule, d'où la nécessité de faire taire aujourd'hui ceux qui revendiquent cette différence.



Le problème semble insoluble. La mentalité générale ne permettra pas l'élection d'un parti désireux de réformer l'idéologie d'Etat. Aucun des partis actuel n'ose réellement briser les tabous. Erdogan, par conviction ou par calcul, a reconnu le problème kurde et a parlé pour la première fois de l'Etat Profond (Derin Devlet). Il risque gros. Au CHP, au DSP, au DYP, l'appareil est tenu par des dinosaures au discours surréalistes pour des partis se disant "de gauche". La "gauche" turque est composée de groupuscules qui additionnés doivent totaliser 3% de l'électorat, des stalinistes du TKP aux maoïsto-nationalistes du Isçi Partisi, en passant par l'ÖDP, parti libertaire sympathique mais impuissant... la sociale-démocratie est représentée par des intellectuels courageux, une élite qui tente de faire crouler les murs mais qui est menacée aujourd'hui physiquement.



L'immense mouvement populaire d'Istanbul et d'Ankara pour condamner le meutre de Dink représente la Turquie que j'aime. Celle qui me dégoute est celle qui aboie aujourd'hui dans les "courriers des lecteurs": "Nasil ya Hepimiz Ermeniyiz?? TÜRKÜM BEN" (comment ça "nous sommes tous arméniens", MOI JE SUIS TURC"), celle qui de fait condamne les centaines de millers de manifestants comme des "traîtres" et des "ennemis de l'intérieur". Dire que la société est coupée en deux serait optimiste. Mais de fait un mouvement de démocratisation, d'ouverture des esprits et des espaces de débat s'est enclenché. La question est de savoir s'il peut être anéanti.

samedi, février 03, 2007

L'ennemi de l'intérieur

Article de Mustafa Akyol publié par The Turkish Daily News:

Il est simplement dramatique et répugnant de voir des personnages éminents en Turquie incriminer avec insistance d’hypothétiques " ennemis extérieurs". Hélas, trop c’est trop, et il est temps d’être honnête. Nous sommes confrontés à un ennemi interne. Et qui mérite d’être nommé " fascisme Turc"

Hrant Dink, guide de la conscience et de la liberté, a été abattu le 19 janvier. Depuis ce Vendredi noir, de nombreux Turcs ont démontré leur volonté de condamner ce crime haineux et ont appelé à honnorer la mémoire de cet homme noble. Pourtant, quelques uns de nos leaders d’opinion ont aussi imaginé derrière ce meurtre public un complot contre la nation Turque. Ils se sont empressés de conclure à une manoeuvre des pouvoirs étrangers et de leurs services secrets déterminés à mettre la Turquie dans une position difficile sur la scène internationale.

Mais voilà que la police Turque a attrapé l’assassin, et il s’est avéré qu’il n’était, ni agent de la CIA, ni du Mossad, ni de M16, ni de Mukhabarat, ni d’une armée populaire de libération d’une Turquie occupée quelque part. Il n’est ni Arménien, ni Kurde. Il est, comme sa famille l’a fièrement précisé, de pure souche Turque. De plus, comme lui-même l’a précisé, il est un nationaliste Turc pur et dur, qui a tué Dink par zèle pour le sang Turc. Il en ressort également que le jeune apparatchik de 17 ans était manipulé à Trabzon par ses frères, qui ont un lourd passé de violence nationaliste. La ville est, aprés tout, un bastion de l’ultra-nationalisme : c’est là, qu’il y a un an, le prêtre Catholique, le Père Andrea Santoro a également été abattu par un militant de 16 ans, dont le profil est similaire à celui de son camarade assassin de Dink.

Face à tout celà, il est simplement dramatique et répugnant de voir des personnages éminents incriminer avec insistance d’hypothétiques "ennemis extérieurs". Hélàs, trop c’est trop, et il est temps d’être honnête. Nous sommes confrontés à un ennemi interne. Et qui mérite d’être nommé " fascisme Turc".

Mesurer le crâne Turc


Le terme n’implique pas un lien organique entre les Turcs et l’idéologie fasciste. Cette dernière est une maladie moderne qui a influencé de nombreuses nations à travers le 20 ème siècle. Les Allemands et les Italiens en sont les exemples les plus évidents, mais il en existe de nombreux autres. Même les Anglo-Saxons libéraux par essence ont expérimenté le monstre. ( Se souvenir du Ku Klux Klan et de l’Union Britannique des fascistes.)

En Turquie, l’histoire du fascisme est des plus ironiques, parce que, bien que nos fascistes contemporains soient fanatiquement anti-occidentaux, l’idéologie est une importation de l’Ouest
dans des terres traditionnellement multiculturelles du Grand Empire Ottoman. Tout a commencé avec le Darwinisme social que quelques jeunes intellectuels Turcs, tels que Yussuf Akçura, ont acquis dans les capitales Européennes au tournant du siècle. Leur vision d’un état entièrement turquisé s’est avérée dans les années 1920, avec la création de la République Turque. La vision d’Ataturk de ce nouvel état n’était pas raciste, bien au contraire il a défini la Turquitude en termes de culture et de citoyenneté, mais les choses ont commencé à changer dans les années 30. L’ Italie fasciste et l’ Allemagne nazie faisaient l’admiration de Recep Peker, le secrétaire général de longue date du CHP ( le parti qui est aujoud’hui présidé par son descendant spirituel, Deniz Baykal.) La Turquie des années 30 a également imité le corporatisme, modèle économique de l’Italie fasciste, et de la devise internationalisée de Mussolini : "Tout pour l’Etat, rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat."

A la même période, la Turquitude a également acquis un sens ethnique. Lors d’un congrès scientifique tenu à Ankara en 1932, et officiellement sanctionné, ont été auréolés les traits évolués du crâne Turc, et des Turcs ont fièrement été déclarés Aryens. Durant la même période, on a exigé des candidats aux postes des bureaux du gouvernement d’être de souche Turque. Tevfik Rüstü Aras, le ministre des affaires étrangères, a affirmé, les Kurdes seront battus par les Turcs dans la lutte pour la vie. Et Mahmut Esat Bozkurt, ministre de la justice, a notoirement
annoncé : En Turquie, les non-turcs sont les domestiques et les esclaves des turcs.

Pendant les années de guerre, la Turquie instaure aussi l’impopulaire impôt sur les grandes fortunes, qui a été concu pour confisquer les propriétés de ses citoyens Chrétiens et Juifs. En 1942, le premier et seul camp de travail Juif a été établi dans Askale, un district d’Erzurum. Si le troisième reich avait gagné la guerre, la Turquie n’aurait eu aucune difficulté à s’insérer dans son ordre nouveau.

L’hystérie à propos des ennemis internes

Bien sûr la Turquie n’est jamais devenue entièrement fasciste, mais de toute évidence , elle a été profondément influencée par cette idéologie monstrueuse, et il lui a hélàs été difficile de s’en libérer totalement. L’Allemagne, l’Italie, et le Japon d’après-guerre ont fait table rase du passé, mais la Turquie n’a eu qu’une transition partielle à la démocratie. En 1950, le Parti Démocrate (PD) est parvenu au pouvoir au cours des premières élections libres et justes depuis le début de la République , avec pour devise : " Assez, la nation a la parole ! " Mais avec le coup d’état militaire de 1960, le PD était écrasé par les despotes en uniforme, qui n’ont pas hésité à exécuter le Premier Ministre Adnan Menderes et deux de ses ministres, après un simulacre de procès.

Depuis , le fascisme a survécu en Turquie, non comme un système, mais comme un état d’esprit. La description de toutes les autres nations comme ennemies de la Turquie, le culte de la personnalité construit autour du fondateur du pays, et la déification de l’état, sont autant d’éléments de cet état d’esprit. Ces dernières années, en réaction à l’incitation de l’ UE pour plus de démocratie et de liberté, la rhétorique fasciste a progressé. Quelques éléments parmi les médias, mais aussi des bandits, bureaucrates et politiciens, répandent systématiquement la peur que la Turquie fait face à des menaces existencielles. Les Kurdes, Arméniens, Juifs , Grecs, missionnaires, Muslumans non-nationalistes - quiconque ne rentre pas dans le cadre de la définition étroite du bon Turc - sont tous considérés comme ennemis internes, et mis dans le même panier que les ennemis extérieurs - les Européens, Américains, Kurdes Irakiens, et en fait le monde entier.

Le militant qui a tué Dink est le fruit de cette hystérie populaire. A moins d’accepter ce constat amer, et commencer à penser sérieusement à notre fascisme interne, il est tout à fait probable que la Turquie en produise davantage. Le nationalisme est le dernier refuge des vauriens, a dit Samuel Johnson, Nous ne devrions pas tolérer devenir une nation de vauriens.

Mustafa Akyol