samedi, février 03, 2007

L'ennemi de l'intérieur

Article de Mustafa Akyol publié par The Turkish Daily News:

Il est simplement dramatique et répugnant de voir des personnages éminents en Turquie incriminer avec insistance d’hypothétiques " ennemis extérieurs". Hélas, trop c’est trop, et il est temps d’être honnête. Nous sommes confrontés à un ennemi interne. Et qui mérite d’être nommé " fascisme Turc"

Hrant Dink, guide de la conscience et de la liberté, a été abattu le 19 janvier. Depuis ce Vendredi noir, de nombreux Turcs ont démontré leur volonté de condamner ce crime haineux et ont appelé à honnorer la mémoire de cet homme noble. Pourtant, quelques uns de nos leaders d’opinion ont aussi imaginé derrière ce meurtre public un complot contre la nation Turque. Ils se sont empressés de conclure à une manoeuvre des pouvoirs étrangers et de leurs services secrets déterminés à mettre la Turquie dans une position difficile sur la scène internationale.

Mais voilà que la police Turque a attrapé l’assassin, et il s’est avéré qu’il n’était, ni agent de la CIA, ni du Mossad, ni de M16, ni de Mukhabarat, ni d’une armée populaire de libération d’une Turquie occupée quelque part. Il n’est ni Arménien, ni Kurde. Il est, comme sa famille l’a fièrement précisé, de pure souche Turque. De plus, comme lui-même l’a précisé, il est un nationaliste Turc pur et dur, qui a tué Dink par zèle pour le sang Turc. Il en ressort également que le jeune apparatchik de 17 ans était manipulé à Trabzon par ses frères, qui ont un lourd passé de violence nationaliste. La ville est, aprés tout, un bastion de l’ultra-nationalisme : c’est là, qu’il y a un an, le prêtre Catholique, le Père Andrea Santoro a également été abattu par un militant de 16 ans, dont le profil est similaire à celui de son camarade assassin de Dink.

Face à tout celà, il est simplement dramatique et répugnant de voir des personnages éminents incriminer avec insistance d’hypothétiques "ennemis extérieurs". Hélàs, trop c’est trop, et il est temps d’être honnête. Nous sommes confrontés à un ennemi interne. Et qui mérite d’être nommé " fascisme Turc".

Mesurer le crâne Turc


Le terme n’implique pas un lien organique entre les Turcs et l’idéologie fasciste. Cette dernière est une maladie moderne qui a influencé de nombreuses nations à travers le 20 ème siècle. Les Allemands et les Italiens en sont les exemples les plus évidents, mais il en existe de nombreux autres. Même les Anglo-Saxons libéraux par essence ont expérimenté le monstre. ( Se souvenir du Ku Klux Klan et de l’Union Britannique des fascistes.)

En Turquie, l’histoire du fascisme est des plus ironiques, parce que, bien que nos fascistes contemporains soient fanatiquement anti-occidentaux, l’idéologie est une importation de l’Ouest
dans des terres traditionnellement multiculturelles du Grand Empire Ottoman. Tout a commencé avec le Darwinisme social que quelques jeunes intellectuels Turcs, tels que Yussuf Akçura, ont acquis dans les capitales Européennes au tournant du siècle. Leur vision d’un état entièrement turquisé s’est avérée dans les années 1920, avec la création de la République Turque. La vision d’Ataturk de ce nouvel état n’était pas raciste, bien au contraire il a défini la Turquitude en termes de culture et de citoyenneté, mais les choses ont commencé à changer dans les années 30. L’ Italie fasciste et l’ Allemagne nazie faisaient l’admiration de Recep Peker, le secrétaire général de longue date du CHP ( le parti qui est aujoud’hui présidé par son descendant spirituel, Deniz Baykal.) La Turquie des années 30 a également imité le corporatisme, modèle économique de l’Italie fasciste, et de la devise internationalisée de Mussolini : "Tout pour l’Etat, rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat."

A la même période, la Turquitude a également acquis un sens ethnique. Lors d’un congrès scientifique tenu à Ankara en 1932, et officiellement sanctionné, ont été auréolés les traits évolués du crâne Turc, et des Turcs ont fièrement été déclarés Aryens. Durant la même période, on a exigé des candidats aux postes des bureaux du gouvernement d’être de souche Turque. Tevfik Rüstü Aras, le ministre des affaires étrangères, a affirmé, les Kurdes seront battus par les Turcs dans la lutte pour la vie. Et Mahmut Esat Bozkurt, ministre de la justice, a notoirement
annoncé : En Turquie, les non-turcs sont les domestiques et les esclaves des turcs.

Pendant les années de guerre, la Turquie instaure aussi l’impopulaire impôt sur les grandes fortunes, qui a été concu pour confisquer les propriétés de ses citoyens Chrétiens et Juifs. En 1942, le premier et seul camp de travail Juif a été établi dans Askale, un district d’Erzurum. Si le troisième reich avait gagné la guerre, la Turquie n’aurait eu aucune difficulté à s’insérer dans son ordre nouveau.

L’hystérie à propos des ennemis internes

Bien sûr la Turquie n’est jamais devenue entièrement fasciste, mais de toute évidence , elle a été profondément influencée par cette idéologie monstrueuse, et il lui a hélàs été difficile de s’en libérer totalement. L’Allemagne, l’Italie, et le Japon d’après-guerre ont fait table rase du passé, mais la Turquie n’a eu qu’une transition partielle à la démocratie. En 1950, le Parti Démocrate (PD) est parvenu au pouvoir au cours des premières élections libres et justes depuis le début de la République , avec pour devise : " Assez, la nation a la parole ! " Mais avec le coup d’état militaire de 1960, le PD était écrasé par les despotes en uniforme, qui n’ont pas hésité à exécuter le Premier Ministre Adnan Menderes et deux de ses ministres, après un simulacre de procès.

Depuis , le fascisme a survécu en Turquie, non comme un système, mais comme un état d’esprit. La description de toutes les autres nations comme ennemies de la Turquie, le culte de la personnalité construit autour du fondateur du pays, et la déification de l’état, sont autant d’éléments de cet état d’esprit. Ces dernières années, en réaction à l’incitation de l’ UE pour plus de démocratie et de liberté, la rhétorique fasciste a progressé. Quelques éléments parmi les médias, mais aussi des bandits, bureaucrates et politiciens, répandent systématiquement la peur que la Turquie fait face à des menaces existencielles. Les Kurdes, Arméniens, Juifs , Grecs, missionnaires, Muslumans non-nationalistes - quiconque ne rentre pas dans le cadre de la définition étroite du bon Turc - sont tous considérés comme ennemis internes, et mis dans le même panier que les ennemis extérieurs - les Européens, Américains, Kurdes Irakiens, et en fait le monde entier.

Le militant qui a tué Dink est le fruit de cette hystérie populaire. A moins d’accepter ce constat amer, et commencer à penser sérieusement à notre fascisme interne, il est tout à fait probable que la Turquie en produise davantage. Le nationalisme est le dernier refuge des vauriens, a dit Samuel Johnson, Nous ne devrions pas tolérer devenir une nation de vauriens.

Mustafa Akyol

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