Réaction d'une lectrice fidèle...
D'abord en ce qui concerne les Bretons, tout à fait d'accord avec l'adhésion à des valeurs nationales communes surtout celle très française d'égalité. Le principal vecteur de cette égalité étant l'école et son rôle d'élévateur social. La Bretagne grâce à sa concurrence public/ privé bien de chez elle, bénéficie en effet depuis longtemps du maillage scolaire le plus dense de France. Résultat, la région des "petites bonnes bretonnes", restée longtemps pauvre, rurale et considérée comme "arriérée" (ça rappelle ailleurs?) compte le taux d'agrégés et de fonctionnaires - républicains "par essence"- le plus important de France.
C'est aussi au nom de cet idéal égalitaire que l'école a éradiqué la langue, cause de l’arriération de ces petits bretons. Tàche d'autant plus aisée, qu’au début du siècle il n'était pas parlé par la petite bourgeoisie de la Bretagne bretonnante. C'était la langue du peuple, celle des paysans, des mousses, des petites bonnes etc.. Il était un peu méprisable, donc ….
Mes grands-mères, plutôt bourgeoises se contentaient de le comprendre un peu. Connaissance acquise au contact des "petites paysannes" et des bonnes de la maison pour l'une, des mousses qui jouaient aux cartes au sémaphore de la pointe du Raz dont son père était le gardien pour l'autre. Seul un de mes grands-pères le parlait parfaitement. Il a appris le français à l'école primaire "assimilationniste". Et toute sa vie il a voué un culte aux instituteurs qui lui avaient permis d'entrer comme boursier (c'était alors au mérite) au lycée de Quimper où les gosses de bourgeois regardaient de haut les boursiers bretonnants, qui se vengeaient bien en étant bien meilleurs qu'eux en français et en langues étrangères. Il était très fier de parler breton (petite revanche sociale sur la belle famille?) mais n'a jamais vu l'utilité de le transmettre à ses fils. Pourquoi faire? Je pense que des Kurdes comme mon grand-père, il y a du en avoir pas mal jusque dans les années 80.
Il est peut-être possible d'établir un parallèle avec ce "mépris" plus que racisme, dont les Kurdes font assez souvent l'objet à l'Ouest. Au moins jusque dans les années 90, le Kurde c'était surtout le type des montagnes, le nomade, le religieux, l'analphabète, le traditionnel, les asiret et les aghas, etc..bref, celui qui était à l'antithèse de la modernité (laïque, libératrice pour les femmes, lettrée, urbaine etc..). Du début de la République kémaliste jusque dans les années 80, il devait être méprisé par les urbains au même titre que les villageois, leurs dialectes et leurs femmes en pantalons bouffants qui désertaient leurs villages anatoliens pour travailler dans les villes. Je suppose qu'aux débuts de la République kémaliste, "l'autre " a du rester pendant un certain temps les chrétiens. Pas certaine, qu'on différenciait beaucoup le Kurde du nomade Turkmène à l'époque.
Le PKK a un peu changé la donne. Kurde connotant dorénavant "terroriste ", au moins en puissance. Mais surtout la guerre et les destructions de villages qui l'ont accompagnée ont entraîné l'arrivée en masse de réfugiés dans les grandes villes. Les vieux clichés ("le féodal" venu des montagnes) ont perduré. Le cinéma et le feuilleton TV s'en sont chargé. Or une migration "forcée" diffère de l'exode rural traditionnel par le fait entre autre que le migrant n'attende pas qu'un cousin lui ait déniché un job pour débarquer. Les réfugiés ont gonflé les rangs d'un nouveau sous prolétariat urbain , caractérisé par l' emploi précaire, la misère des familles, la perte brutale des repères villageois engendrant le développement de la petite délinquance, de la mendicité des enfants (parfois sous la coupe de "bandes organisées kurdes") etc...Beaucoup moins courant il y a une quinzaine d'années et alors l'apanage du milieu gitan. Ces nouvelles formes de délinquance urbaine attribuées aux Kurdes sont régulièrement stigmatisées par les médias, qui n'établissent pas le lien avec la guerre et les villages détruits, cette guerre restant une guerre non dite, qui n'a jamais existé. Ces gosses ne sont victimes que de leurs "mauvais parents" ou de "bandes mafieuses. Tout comme les émeutes urbaines de Diyarbakir n'étaient que le fruit de manipulations du PKK. Ce qui arrange tout le monde.
Bref, outre le féodal, coutumier du meurtre pour l'honneur, le Kurde est devenu aussi "la classe dangereuse", rejoignant les gitans et d'autres étrangers : mafias (russe ou kurde), prostitution (moldave) trafics en tous genre, eux aussi stigmatisés dans les médias. Ca rassure tout le monde, les mauvais, ce ne sont pas les Turcs. Ce sont les autres. Et la presse populaire, qui est aussi la plus réfractaire à toute reconnaissance de l'identité kurde, contribue pourtant à faire "un autre" du Kurde en propageant ces clichés.
Ce qui nous rappelle aussi d'autres "mauvais" bien de chez nous. Sous des formes un peu différentes, on retrouve le même mépris social pour l'ouvrier maghrébin et la même peur entretenue par les médias et la même récupération politique. Certes les Kurdes ne sont pas venus de l'extérieur eux, mais le Sud-Est du pays est resté un ailleurs lointain en Turquie, où on ne rend le plus souvent que contraint par une affectation de fonctionnaire rarement désirée, ou le temps du service militaire.
Quant à la classe moyenne éduquée, le syndicaliste, l'étudiant l' l'intellectuel ou l'artiste kurde, marxiste dans les années 70, pro-kurde aujourd'hui; ils n'ont jamais été méprisés, ni même rejetés, car ils étaient modernes dans les années 70 et aujourd'hui ils ne font pas peur. Je pense qu’ils sont moins devenus modernes "comme les Turcs" mais plutôt en même temps que les autres Turcs anatoliens ou les muhacirs venus de l'extérieur, en renonçant comme les autres à leurs particularismes, du moins en apparence....Car pour finir, le questionnement sur l'identité est loin de ne toucher que les Kurdes dans la société urbaine turque d'aujourd'hui.
Anne