World Tribunal On Iraq, Irak Dünya Mahkemesi
Eh bien c’était ENORME. La soirée inaugurale de vendredi m’avait laissé une impression de grand rallye pour jet-set alter-mondialiste : concert d’Erkan Oğur dans un cadre hors du temps, le « Darphane », annexe du palais de Topkapı.
C’était en fait me semble-t-il un atelier de monnaie. Dans la cours déambulent des marxistes américains, des activistes Coréens déguisés en Georges Bush, une vieille argentine des « mères de la place de main », un Mexicain du Chiapas...Je tique un peu sur une Américaine longiligne portant un t-shirt « Fight for Fallujah » largement décolleté, mais je m’abstiens de lui signaler qu’avec cette tenue elle s’y serait fait promptement lapider.
La réunion des volontaires me fait présager une grande place laissée à l’improvisation, j’y rencontre mes collègues pour trois jours. Gökçe et Arda, jeune couple de retour d’un volontariat en ONG en Inde, Elif, et Melih. Notre boss Sinan d’HCA nous explique vaguement notre tâche, qui consistera essentiellement à aider les journalistes.
Je suis sur le pied de guerre le lendemain à 7H30, et suis promptement amené sur place par le Tramway flambant neuf qui relie Kabataş à l’aéroport, en passant par Sultanhamet : à l’exact opposé de celui de bordeaux : il est moche mais il est climatisé et il marche.
Le tribunal est une énorme machine: 150 journalistes locaux et internationaux, environ 800 participants et une cinquantaine d’intervenants, environ 15 « jurés de conscience » au C.V impressionnants, tous activistes pour les droits de l’homme dans leur pays.
La présidente du tribunal est la sublime Indienne Arhundati Roy, que j’aurais bien demandé en mariage une rose entre les dents si elle n’avait pas 55 ans (et un mari riche). Son apparition au bureau d’HCA jeudi après midi m’a valu une luxation de mâchoire.
J’ai l’honneur d’imprimer son discours inaugural et de le photocopier à l’usage de la presse. Cela me vaut un sourire radieux et un « Thank youu thomass » qui paient au centuple trois jours de bénévolat. Dûment encarté et en-tisheurté, je n’ai que peu l’occasion de suivre les débats. Mon job ingrat est simple : recevoir les journalistes, les accréditer, discuter avec eux de leurs souhaits d’interviews, et me lancer à la recherche de personnalités dont je ne connais que le nom, dévalant les pentes du Darphane sous le soleil de plomb une bonne cinquantaine de fois par jour.
Parfois la chance sourit, et je tombe nez à badge avec la « cible ». Parfois c’est plus dur, et je provoque une interview pour CNN avec un peintre Irakien, vaguement homonyme du journaliste irakien que je cherchais. A ma décharge il m’avait été indiqué par deux moustachus irakiens en pause café. Il s’avère pourtant (ouf) que j’ai eu le nez creux, puisque le peintre en question a passé deux jours à la douane de Diyarbakir pendant que la police analysait ses tableaux, soupçonnant un nouveau système révolutionnaire de transport de cocaïne dans la peinture blanche. Saalam Omar est donc passablement remonté et le fait savoir. Ayşe Gül de CNN Türk me considère probablement comme son assistant personnel et je parviens à lui rabattre en deux jours une bonne moitié du jury, rappelé à l’ordre sur mon portable quand je manque à mes devoirs. La voici avec l'irakien Saalam Al Jaboorie, journaliste a Bagdad et membre du Jury.
Je bosse aussi intensivement avec l’AFP, TV5 et RFI, ainsi qu’avec l’AFP local DHA.
A 16h pétante je me sauve, pour un long trajet en Tramway/Métro à travers la vieille ville puis les banlieues interminables jusqu’à l’aéroport. Ma copine réceptionnée, sa valise montée et un plantureux repas avalé chez ses parents, je parviens, totalement claqué à me traîner jusqu’à chez moi et à m’écrouler devant un navet sur CNBC.
Le réveil du samedi matin est cruel, mais les affaires reprennent vite pour une nouvelle journée de cavalcades sur les pavés ottomans. Les discours se succèdent, les intervenants sont tous de carrure internationale : du fondateur du tribunal sur le Vietnam en 1967 (le jovial Belge François Houtard), aux ex pontes des Nations Unies Hans Von Sponneck et Denis Halliday, démissionnaires pour protester contre l’embargo infligé à l’Irak entre 1991 et 2003, en passant par l’activiste Malaisien Chandra Muzaffar, le journalistes Mark Manning (Planqué à Fallujah pendant le siège), le vétéran de l’US air force Tim Goodrich, le sociologue Samir Amin.
J’ai l’occasion de tous les approcher, carnet de rendez vous en main, pour les convaincre d’accepter leur dixième interview de la journée. Le thème imposé par Jérôme Bastion de RFI est plutôt contraignant : « aujourd’hui trouve moi de la femme irakienne, c’est ma journée femme ». Sympa, mais galère de repérer des « Souad Al Ali Al Rhaman » écrit en police 8 sur des badges. Beaucoup de gens ont dû penser pendant ces 3 jours que je faisais un fétichisme sur les nombrils, vu le temps que j’ai passé en approches subtiles pour parvenir à zyeuter les badges des participants. Je mastérise pourtant Samedi la moitié du panel de personnalités, ce qui me vaut une double charge de travail vu que je dois maintenant orienter mes collègues peu physionomistes sur les bonnes personnes. Bonne ambiance au « press room », et je sympathise avec Melih, turquette rigolote et au parcours personnel atypique.
Née en Suisse, confiée à ses parents à sa mémé à Erzincan (Est), elle y apprend le Kurmanci (kurde), mais doit émigrer à Istanbul en 1991 à la suite d’un gros tremblement de terre. Le tout lui forge une sacrée personnalité, qui la pousse à m’interdire formellement de lui parler en anglais. Le reste des volontaires est fortement prié de faire de même, et je me retrouve donc pour la première fois à travailler en turc. On prend vite le pli, et je fais vite sensation au Q.G de l’organisation à gueuler au téléphone en turc sur des journalistes en retard à leurs interviews, les menaçant de refiler leur « client » aux vautours tournant autour.
Il y a des demandes d’interview particulières, des journalistes exigeants qui veulent qu’on leur amène le client juste là, sous l’arbre dans la petite cour : il est dangereux d’effectuer de longs trajet, le risque étant qu’un indésirable mette le grappin sur le colis pendant que j’ai le dos tourné. J’escorte brièvement Chandra Muzaffar et son fauteuil roulant avant de me faire éjecter par le volontaire spécialement attaché au poussage de fauteuil et très jaloux de cette prérogative. L’ambiance générale est excellente, l’exiguïté du cadre faisant se mélanger journalistes, spectateurs, volontaires et personnalités. Les activistes coréens aux masques de Georges Bush massacrent imperturbablement un globe terrestre en mousse à coup de massue géante en plastique et distribuent des badges (j’en ai droit à un bon stock pour les avoir aidé à récupérer leurs affiches qui s’envolaient),
le président du conservatoire musical de Bagdad (détruit par les bombes US) s’installe sur un tabouret avec son Oud et les irakiens présents reprennent ses chants en cœur.
Un « happening » morbide tempère cette ambiance de kermesse : les irakiens déploient une toile de cinquante mètres de long portant les photos d’innombrables bébés et enfants irakiens affreusement mutilés.
Le dimanche, un groupe de militants pacifistes turques nous rappellent à grand bruit que l’objecteur de conscience Mehmet Tarhan a été envoyé de force à son régiment à Erzurum, où il croupit probablement au cachot.
La municipalité d’Eminönü se distingue en annulant le concert final de Mor ve Ötesi, pour « ne pas avoir l’air de cautionner une action anti-américaine. », ce qui lui vaut une belle manif de volontaires et de pacifistes près du marché égyptien. (200 manifestants, 500 policiers (ratio généralement observé).
Je ne peux finalement souffler qu’une heure après la clôture, le retard pris ayant poussé la modératrice à annuler les pauses café. Je suis donc forcé de sauter sur mes proies dès le discours de fin d’Arhundati Roy (raaah lovely) terminé dans une standing ovation, et je parviens en l’espace de 10 minutes à obtenir mes dix dernières interviews pour des journalistes surexcités stressés par leur bouclage. Croyant pouvoir partir je suis attaqué par deux reporters voilées en tenue d’islamistes de choc, qui veulent un reportage avec une activiste indienne pour le lendemain. Je replonge dans le bordel ambiant de la salle d’audience, slalomant à la recherche d’un hypothétique sari rouge et noir. Je d’abord induit en erreur par un sari noir et rouge qui m’oriente aimablement sur la bonne personne, laquelle, charmante, me laisse le numéro de sa chambre d’hôtel et donne rendez vous aux deux kapalı (« fermées » = voilées). Un seul échec, je n’ai pas réussi à traîner Miguel Anjel, avocat du Chiapas, vers son interview avec un journaliste de Cumurhiet, lequel part finalement la mine défaite et la moustache tombante 5 minutes avant l’arrivée du Mexicain. Je frôle la crise de nerf quand l’envoyé d’ « Express » me fait faux bond alors que j’ai enfin réussi à lui amener sur un plateau en salle de presse l’irakienne Emann Khamas, le graal de ma journée. Il se pointe finalement au pas de course après un coup de téléphone impérieux de ma part. (Il me l’avait demandée environ 10 fois dans la journée)
Le verdict du tribunal tombe le lendemain à 11h à l’hôtel Armada. Pas de surprise Bush et Blair sont déclarés coupables des crimes de guerre énoncés pendant trois jours durant avec force témoignages, chiffres, preuves à l’appui par un tribunal mondial impressionnant de sérieux.
Je retire une certaine exaltation d’avoir contribué à cet événement, et un réel engouement pour cet embryon de société civile mondiale. On retiendra que j’ y étais, si l’on omet les deux journalistes, le seul représentant français (et si peu !!), les t… du c…d’ATTAC et consorts étant trop occupés à se reposer sur leurs lauriers post-non pour prendre part à des actions réellement décisives pour « un autre monde » potentiel. La présence de Malaisiens, Argentins, Indonésiens et autres Philippins écarte d’office « l’argument géographique », pourtant si souvent invoqué en France quand on parle de
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