Je me suis personellement fixé sur Amidya, mais personne ne semble pouvoir se mettre d'accord. Nous partons d'Erbil à 13h: Khassoul notre chauffeur nous retrouve à l'hôtel à 12h et nous conduit au poste de police: oui, nous devons quand même récupérer les papiers "confisqués" l'avant veille. Au guichet je dois déposer mon appareil photo à côté d'une belle collection de flingues...je me dis qu'au moins il est en sécurité! Malgré un mauvais pressentiment tout ce passe incroyablement vite! Nous sommes dirigés vers un bureau au fond d'une petite cour: je crains le pire quand le préposé nous demandes des photos d'identité, mais devant ma feinte incompréhension (habitude prise en Turquie: quand police demander choses chiantes, moi soudain plus comprendre turc), il laisse tomber et nous rend nos papiers, après avoir calligraphié avec application mon prénom et celui de mon père. Thomas, fils de Pierre, commence à être connu dans toutes les adminitrations!!! Le plus drôle est que j'aurais très bien pu prétendre être fils de Mathurin ou d'Anatole sans craindre de représailles: personne ne m'a demandé d'extrait de livret de famille! Nous prenons donc la route de Mossoul dans la (puissante) voiture de Khassoul. Celui-ci parle un peu anglais mais n'est pas spécialement bavard. Il s'arrête à la demande (nous l'avons exigé au PDK) pour prendre des photos de ponts, payages, rivières. La route pénètre dans le Badinan, coeur du Kurdistan, siège d'un ancien royaume et région d'origine du clan Barzani...nous passons d'ailleurs par Barzan, petite ville qui ne semble pas avoir grand chose à offrir.
Au détour d'une colline, après 2 ou 3 heures de route (note pour la prochaine fois: 1h kurde = 1h30 GMT. 2h=3h, 4h=6. En gros multiplier par 1,5), la ville d'Amidya s'offre à nous: un piton rocheux à 1400 mètres d'altitude, 1km de long sur 500 de large (j'ai au moins trouvé cette info!).
Quelques informations trouvées à grand peine sur le net, et qui me semblent peu dignes de foi...: la ville serait pour la première fois mentionnée sur les tablettes des Assyriens sous le nom d'Amat, au IXeme siècle avant J.C. Elle a été la capitale du royaume kurde du Badinan, du XIIIeme siècle à 1842, date à laquelle l'Empire Ottoman a démantelé les émirats Kurdes...Jusque là tout va bien. Ensuite le site décrit le principal joyau de la ville, une porte du XIII ème siècle comme datant de l'empire Parthe, ce qui paraît plus que douteux.
Toujours est-il qu'arrivant à Amidya, nous demandons à Khassoul de nous conduire à la demeure de "Monseigneur Raban", évêque assyrien du diocèse d'Amediye (et non pas catholique comme l'a prétendu Roxane). Que nenni nous répond Khassoul, il a ordre de nous conduire au bureau du PDK. Nous sommes ici accueilli par un jovial moustachu, Yussuf Ahmed. La communication est d'abord difficile, puisqu'il ne semble pas parler un mot d'anglais: pure timidité, puisque ses souvenirs de lycée lui reviendront à sa grande surprire: le lendemain il bombe le torse en se caressant la moustache en me disant "I understand you" (pause) "and you understand me!!!". Il n'arrive visiblement pas à y croire, mais prend soin de le signaler à ses subalternes, à faire la leçon à son fils de 10 ans, et probablement à en informer sa femme dès son retour à Zakho.
Soudain une cinquantaine de personnes font irruption dans le bureau: d'abord une vague de femmes pomponnées, ensuite une vague d'hommes sur leur 31. Ils viennent saluer 1 à 1 le chef du PDK (et dirigeant de fait de la ville) avant leur "cours du soir". D'après ce que j'en comprend le PDK organise "l'école du parti", probablement une petite propagande politique des familles: cela ne semble pas bien méchant: quand nous sortons du batiment du PDK les "élèves" sont assis sur des chaises de jardin et font semblant d'écouter un professeur qui leur explique quelque chose sur un tableau blanc. Au passage des touristes, ils ne font même plus semblant d'être attentifs: 50 têtes se tournent et nous suivent du regard! La scène se répète à notre retour une heure plus tard, d'autant que par mauvais esprit nous leur faisons des risettes et des coucou de la main...
Un jeune peshmerga (je me sens vieux au Kurdistan...) en civil nous accompagne pour une ballade dans les rues d'Amedi. Sa mission: nous trouver des vieux monuments: le jeunot a le nez creux, puisqu'il nous emmène directement à une magnifique porte de pierre. Il nous faut bien une heure et de nombreux cris d'extase pour la photographier sous toute les coutures!
On reconnait ici le symbole du Badinan: deux serpents entrelacés (la ruse et le courage) surmontés d'un oiseau non identifié: cet oiseau est réputé pour s'ouvrir le ventre pour nourrir ses petits en cas de famine. Je sais que ce n'est pas un pélican, je pense pour un Ibis mais toute information est la bienvenue!!!! Quelques recherches plus tard: l'ANKA en culture mésopotamienne semble être le Phoenix...ce qui colle pas mal au gout des Kurdes de s'immoler à la première occasion.
La route pavée (très très vieille) qui débouche de la porte descend en zigzaguant dans une vallée verdoyante, dans laquelle se trouvent quelques villages assyriens. Portant un panier de figues et de grenades (le fruit!), un homme la monte en soufflant comme un boeuf. Je compatis. Il s'arrête près de nous pour récupérer, et engage la conversation en excellent anglais. Il nous confirme que la porte a été érigée sous le reigne des emirs du Badinan, et nous parle d'un cimetière des princes du Badinan situé quelque part dans la ville. En guise de prince, nous nous contenterons pour l'instant de ce visage....
...qui met Roxane au bord du pâmoison!! Après les tombes préislamiques de Salaadin, c'est notre principale découverte au Kurdistan.
Des hauteurs nous pouvons voir les ruines d'une très vieille Medrese (école coranique) perdue dans les broussailles, autrefois un centre culturel important.
Notons également dans la ville une église en ruines, et une autre en activité. Ma fascination pour les chrétiens d'orient est récompensée, et je passe 2 minutes à la porte à écouter les chants liturgiques sans oser entrer. 30 à 35 familles assyriennes vivraient à Amedi, villes entourées de nombreux villages chrétiens.
La Mosquée ne présente que peu d'intéret. Son Minaret du XIIIème siècle nettement plus! Il rappelle trait pour trait celui d'Hassankeyf et une de ses faces (pour peu qu'un cylindre ait des faces) est criblées d'éclats d'obus, souvenir de la guerre Iran-Irak. (photos à traiter et à venir!)
Nous poursuivons notre déplorable habitude de troubler la vie quotidienne de la ville: ici un entraînement de foot au sérieux compromis: les jeunes sportifs viennent de nous repérer pendant leur échauffement, dans 10 secondes, plus personne ne court et tout le monde fait des coucous, même l'entraîneur.
Pour la soirée, Younes nous convie à un endroit "more good than Amidya", ce qui promet. Deux jours de plus en sa compagnie et j'aurais probablement abandonné le "better" pour ce délicieux "more good". Loin de moi l'idée de faire mon pédant et de corriger sa grammaire, mon minable niveau de Kurmanci ne me le permet pas vraiment. "More good" en Kurde, signife malheureusement "plus moderne". Le village de Sulav situé à la sortie de la ville n'est qu'un groupement de restaurants, de bars, de boutiques de souvenirs et de vendeurs de barbe à papa...surréaliste, mais la région est prospère et les habitants pas spécialement austère! La vile servait de toutes façons de villégiature aux dignitaires du régime Baathiste. Nous avons donc le plaisir de nous régaler de tête de mouton (ce qui vaut bien les couilles de Diyarbakir) aux frais de la princesse. Un pont trop propre pour être honnête rappelle celui de Zakho, mais a probablement été reconstruit, voire récemment construit sur le même modèle.
Seul bémol de notre séjour à Amidya: le couchage. Alors que nous devions dormir dans une petite pièce dans les bureaux du PDK (spartiate mais propre), on nous ammène finalement dans un "hôtel" franchement répugnant, sans draps ni douches. Je dors sur mes deux puchis étalés sur le lit, et ma prochaine douche aura lieu deux jours plus tard à Istanbul!
Le lendemain matin visite de la Medrese en compagnie de deux peshmergas. Communication difficile jusqu'à ce que l'un deux apprenne que je parle turc. C'est tout de suite plus facile, même si son niveau est basique (appris à la télé!).
L'accès à la Medrese est acrobatique: descente à flanc de ruisseau boueux au milieu des ordures (l'écologie et les kurdes...). Roxane et ses vertiges ralentissent la marche. Les deux kurdes eux sautillent allégrement sans craidre de se salir les bottes. D'après mes recherches son nom est Qubad (un émir du Badinan), et elle était célèbre pour sa librairie, une des plus grandes du monde musulman....retour au bureau du PDK après quelques photos de bon goût.
L'heure du retour a sonné, et nous montons dans une voiture qui nous conduira à la frontière...
(photos copyright www.roxanephoto.com)(qui tout comme moi a des relations nombreuses, haut placées, et armées jusqu'aux dents)