Sarkozy et la Turquie
Exercice difficile : tenter de déterminer la position de Nicolas Sarkozy vis à vis de l’adhésion de la Turquie à l’Europe. Au delà de "Si la Turquie était en Europe ca se saurait" et "à l’école, j’ai appris que la Turquie est un pays qui fait partie du continent asiatique", ou "comment mettre la géopolitique au niveau de mon Labrador ?", quelle est la position du potentiel "Fransiz Halkin Önderi" ? (chef du peuple français, en paraphrasant un peu Öcalan, lui-même chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan)
M. Sarkozy parle à son électorat, de préférence avec des mots pas trop compliqués. "Si la Turquie adhère, pourquoi pas le Maroc", reste dans la ligne traditionnelle de la droite. On remarque que Roselyne Bachelot était allée beaucoup plus loin avec un "pourquoi pas l’Afghanistan ?" qui en disait long sur sa perception de ce qui se situe à l’ouest de la Loire. Amalgamer la Turquie au reste du monde musulman, c’est caresser l’électeur dans le sens du poil, celui qui avait dans les années 1980 peur de l’adhésion des “métèques” Espagnols ou Portugais, plus récemment des hordes de plombiers venus d’outre-rideau-de-fer.
La peur est l’une des armes préférées de Sarkozy. Ce qui marche (pour lui) dans les banlieues marchera bien avec la Turquie : "on aura fait du problème kurde un problème européen. Formidable ! Il restera à faire du Hamas et du Hezbollah des problèmes européens, parce que si (l’on) considère que la Turquie est européenne, il faut tout de suite penser au Liban, sans oublier Israël, parce qu’Israël est plus européen que la Turquie". Capable de faire apparaître en France des attaques de bus au cocktail molotov dignes du TAK (groupe terroriste des Faucons de la Liberté du Kurdistan ayant revendiqué plusieurs attentats depuis plus d’un an en Turquie) à Istanbul le printemps dernier, M. Sarkozy s’inquiète de la question kurde.
Notons également le "toujours plus", le "si la Turquie adhère bientôt ce sera le Turkménistan, après tout ils sont Turcs" qui ne mange pas de pain et fait gagner des voix. Comme le disait Goebbels, "plus c’est gros plus ça marche", l’essentiel est de le répéter souvent : "si la Turquie rentre, le Liban Israël, l’Algérie, le Maroc" suivront. On vous ment, protégeons l’Europe chrétienne.
Pas encore utilisé par M. Sarkozy, l’argument de la solidarité turcophone. C’est Philippe de Villiers qui avait cru bon d’informer le bon peuple que la Turquie, dès son adhésion, ouvrirait les vannes aux hordes turcophones d’Asie centrale, parachevant ainsi le travail de Tamerlan. Remarquablement informé sur le droit de l’immigration turc, il affirmait sans rougir que tous les citoyens des républiques turcophones peuvent rentrer en Turquie sans Visa, et seront donc de fait intégrés à Schengen. Car "100 millions de Turcs en 2020", à tout prendre, ça n’effraie pas assez. Allons y pour 150, et en plus ceux-là sont vraiment bridés.
La question de la frontière est également parfaite pour effrayer les bonnes gens. "UNE FRONTIERE AVEC l’IRAK !", bouh ! L’Europe s’est construite avec le rideau de fer en frontière orientale et avec les missiles russes à portée sans jamais que ça ne pose un problème, l’Europe a une frontière avec le Surinam, le Brésil, la Biélorussie, la Chine du temps que Hong Kong était Britannique et Macao Portugais, l’Europe a laissé le conflit ougoslave se dérouler à sa porte sans être fichue d’intervenir et sans en être déstabilisée autrement que moralement. Et surtout ne pas dire que de l’autre côté de la frontière turque, c’est plus calme et plus sûr qu’aux Tarterets, cela serait un mauvais coup de pub.
La question du "partenariat privilégié" brandi à tout bout de champ est une autre manière de tabler sur l’ignorance des bonnes gens. En tant qu’Etat officiellement candidat, la Turquie est DEJA un partenaire privilégié, bénéficie d’aides européennes, subit une Union Douanière depuis 1994 (et Balladur, donc on peut supposer que M. Sarkozy est au courant), et intègre l’acquis européen à grandes lampées malgré les diverses oppositions nationales. En fait c’est une façon de s’en tirer à moindre frais en disant "mais attendez je n’ai rien contre ce grand pays" ! Cela sonne un peu comme le "que proposer à notre amie la Turquie" du site Non à la Turquie...
OPA sur la religion
Un autre aspect fascinant, et très diffusé à droite (VGE, Bayrou , De Villiers), c’est l’introduction dans notre beau pays laïque de la religion dans le débat politique. La laïcité française a de grandes similitudes avec le modèle turc : neutralité envers les religions, mais bâtons dans les roues des religions autre que la religion "d’État". Pas d’églises en Turquie, pas de mosquées en France. Parce que bon quand même, ce sont nos "racines". Amusant, la langue bretonne c’était "le piquet auquel est attaché la chèvre", l’empêchant d’aller voir plus loin que son champ, mais l’Identité Chrétienne, c’est la base, le socle commun, ce qui fait qu’un Roumain, en toute logique, est plus proche d’un Finlandais que d’un Turc, un Serbe d’un Portugais que d’un Bosniaque.
On se demande pourquoi les analogies ne valent que dans certains cas. Il y a des racines inacceptables (repli identitaire communautaristo-fascsite) et des racines inattaquables (défense de l’identité chrétienne contre la "dilution").Comment se positionner quand on est athée et Breton ? Vous devez accepter d’être Chrétien même si vous ne l’êtes pas, oubliez d’être Breton même si vous l’êtes. On se charge de défendre votre identité, même si vous ne pensez pas qu’elle soit la vôtre. Quant à la vôtre, elle est indéfendable. Je m’y perds. Et je m’égare. Reprenons.
La laïcité c’est un très joli mot, ça peut servir à interdire plein de choses gênantes, mais quand un Etat "musulman à 98%" (pauvres Alévis) pointe son nez, on se souvient soudain que nous sommes "qu’on le veuille ou non" (non !) un pays chrétien, et l’Europe une civilisation chrétienne. Je n’ai jamais compris que personne ne relève cette contradiction apparente entre "protégeons nos racines chrétiennes" et le centenaire de la séparation de l’église et de l’état. Il est vrai que je viens d’un "pays de Chouans", alors je suis mal placé pour parler. Ou peut être faut il accepter de bientôt voir, grâce aux caméras de M. Villepin, nos ministres plongés dans une prière collective avant l’ouverture de la séance ? Gageons qu’Azouz Begag se fera tout petit sur son tapis, pour ne pas heurter la laïcité de ses collègues.
Je n’attends qu’une chose : l’invocation de la menace chiite à nos portes en parlant des Alévis. Après tout, ils sont inlassablement présentés comme "Chiites hétérodoxes" dans des ouvrages très sérieux. De la à faire des Cemevis (lieux de culte alévis) des cellules dormantes du Hezbollah et des bases avancées de l’Iran, il n’y a qu’un pas, qui sera, j’en suis sûr, franchi très prochainement.
14 commentaires:
Tom, beaucoup de choses nous séparent, je suis par exemple musulman pratiquant et opposé a l'adhésion de la Turquie a l'Union européenne.
Je pense cependant que nos chemins se croisent lorsqu'il sagit du mépris et du rejet de l'ignorance et de la "bétise humaine".
Bon article, mais j'espere que tu deviendras jamais journaliste !
Pour le bien du journalisme ou pour mon propre bien? :o)
merci en tous cas...
La Turquie "pays musulman à 98%" et les Alévis "inlassablement présentés comme "Chiites hétérodoxes" : Ben ça, la Turquie n'a qu'à s'en prendre à elle-même et libérer les Alévis de l'étiquette qu'elle leur impose elle-même toute seule comme une grande, et mettre un peu plus sur la place publique (et politique) toutes ses "minorités religieuses", je me demande dans ce cas à quel pourçentage les "musulmmans" de Turquie seraient ramenés...
Pour ce qui est de la "peur de l'islam" que veux-tu y faire, se battre avec la démagogie et l'irrationnel est presque désespéré. Certains fantasment sur le péril vert comme McCarthy sur la menace rouge en son temps. L'islam est peut-être aujourd'hui l'ennemi dont les Européens ont besoin pour se sentir exister.
Evidemment Piling que c'est la faute des Turcs! Mais tout le monde sait qui sont les Kurdes malgré le fait que les Turcs aient dit pendant des décennies qu'ils n'existaient pas... je reproche aux journalistes de ne pas vérifier leurs informations et de tirer leurs stats du premier "quid" venu... J'ai vu récemment que les Yezidis étaient les zoroastriens d'Irak. Beaucoup rigolé...
" J'ai vu récemment que les Yezidis étaient les zoroastriens d'Irak. Beaucoup rigolé... "
ça c'est la faute de ces crétins de nationalistes kurdes (yézidis ou non) qui cherchent désespérement tout ce qui peut ressembler à une culture kurde "pure de tout islam", j'en ricane.
Je sais pas si ca vient des Yezidis eux memes (à part les crétins de l'immigration qu'on peut connaitre sur certains forums)...
J'aime beaucoup le "gageons qu'Azouz Begag se fera tout petit sur son tapis pour ne pas heurter la laicité de ses collègues".
Bravo !
Pour ton bien ! Allons Tom !
Très bel article Thomas. Mais je tiens à réagir sur un chiffre qui, à chaque fois que je le vois, me fait bondir de ma chaise. Pas de souci, j'ai appris à attérir en douceur. Me suis pas fait mal :)
Comme il n'y pas en France 90% de chrétiens, la Turquie est loin de compter 98% de musulmans. Ce chiffre arrange tant l'Etat turc que certains européens (je ne parle pas de vous Thomas) désireux de surfer sur la vague du choc des civilisations. Car il faut comprendre ce que signifie dans la tête d'un européen qui entend le chiffre de 98% des turcs sont musulmans. Il signifie que ce pays et ses citoyens n'ont qu'un visage, il présente LE turc comme unique, sans relief, qui n'a pas réussi à intégrer les différences et les différentes composantes en son sein. Ils peuvent donc parler du turc comme un personnage robotisé, lobotomisé par l'Etat et par la religion. Alors que les français (et autres européens) seraient divers dans une même nation, le turc serait partout le moustachu se rendant qutodiennement à la mosquée, prêt à tomber à tout moment dans le terrorisme. Car tout le monde le sait depuis quelques années musulman = islamiste = terroriste. Comme les turcs sont à 98% musulmans, alors le risque est grand de voir des terroristes arriver dans notre beau pays.
Quant à l'Etat turc, ce chiffre lui a permis depuis l'obligation de suivre les cours de religion en 1981, de faire face à des dérives islamistes (discours officiel) mais surtout de lutter contre les mouvements de gauche, voire marxistes et communistes. Comme tout Etat voulant exercer son pouvoir, il fallait assimiler tous les turcs (et kurdes) au sein de la nation en gommant toutes les différences.
Par conséquent les tendances au sein de l'alévisme ont été effacées au profit d'un alévisme inclus obligatoirement comme une branche de l'islam. Et ils sont donc obligés de suivre les cours d'islam sunnite. Pourtant quand on y regarde de plus près, on se rend compte qu'environ la moitié des alévis se considèrent en dehors de l'islam. C'est une pensée, une façon de vivre complètement à part de l'islam. De fait, nous avons déjà environ 12,5 à 15%% (la moitié des alévis de Turquie qui représentent environ 25 à 30% des turcs) qui ne sont pas musulmans.
Mais le principal est à venir. Comme dans tout pays, il existe des athées et des agnostiques, chose difficile à imaginer pour l'occidental lambda. Et pourtant, les libres penseurs du monde arabo musulman datent de plusieurs millénaires. Mais là on se heurte à un manque de statistiques édifiant sur ce sujet. Je suis malgré tout tombé sur la seule étude, à ma connaissance, portant sur le raport des turcs à la religion. Il a été réalisé en France par le Centre d'Etude de la Vie Politique Française (CEVIPOF)sur les croyances religieuses des Français issus de l'immigration africaine et turque.
Le cliché d'une population massivement musulmane vole en éclat : 20 % d'entre eux se déclarent sans religion. 60 % des personnes d'origine turque se déclarent musulmans. Ce chiffre est assez surprenant sachant l'origine modeste et peu éduquée des immigrés turcs. Car on trouve surtout les athées et agnostiques dans les milieux universitaires et/ou originaires de familles alévies, mais pas seulement.
Il est donc promordial de montrer la Turquie comme elle est, c'est à dire une véritable mosaïque culturelle comme nous l'avons en France. La laïcité c'est apprendre à vivre avec l'autre qui est différent de nous. Et un pays qui serait à 98% musulmane ne connaitrait de la laïcité que le nom. Faisons voler les clichés en éclats et luttons contre les préjugés et sachez messieurs et mesdames laïques de France et d'ailleurs, qu'il y a aussi en Turquie des personnes qui partagent votre vue sur la société et le monde en général.
Au plaisir,
Nobel
eh oui Tom, t'es trop fort pour finir journaliste, comme ce correspondant du Figaro a Bruxelles qui cite le rapport de l'UE :
« les crimes d'honneur et les suicides de femmes ont toujours lieu, notamment dans l'est et le sud-ouest du pays.
et :
« Le nombre de cas de torture et de mauvais traitement a baissé, mais ils sont toujours signalés en prison, à l'extérieur des centres de détention et dans le sud-ouest du pays » (Kurdistan, NDLR).
Ce journaliste et sa redaction sont non seulement nuls en Géographie (ah les points cardinaux et les journalistes!) mais en plus ils sont meme pas cap' de recopier un rapport ... a moins que les erreurs soient dans le rapport lui-meme ce qui serait encore plus inquiétant !!!
j'aime bien moi aussi ces égarements d'un athée breton ;)
Découverte de ton site. Chapeau, ca fait du bien un ton un peu caustique!
Salut
Les commentaires positifs font toujours du bien aussi ;)
la turquie n est pas europeenne selon le nouveau president sarkozy d accord. moi je voudrais savoir svp ou est situee geographiquement chypre qui est dans l union europeenne. bien sur le sud de chypre c est l europe et le nord c est l asie . c est comme des millions de francais qui croive que la turquie est situe au magreb et que la langue de la turquie est l arabe pour moi je dirai avant de raconter des betises apprener votre geographie l histoire la culture d un pays et ne croyer pas tout ce qu on raconte
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